Le champignon qui sent les biscuits!
CHRONIQUE. Le samedi 13 avril dernier, j’ai rejoint Isabelle Forgues (Safrana) et l’équipe du restaurant/brasserie Le Presbytère à St-Stanislas pour le lancement d’une bière faite à partir du miel d’un collègue apiculteur, Le Fief d’Orvillier, aromatisée aux boutons de roses sauvages de Safrana.
Mme Forgues, qui a déjà cultivé les champignons, était venue pour le lancement de cette bière brassée par Rosaline et son père, Francis Boisvert.
Le moment venu, Rosaline dévoila le nom de sa cuvée, « La Rose à Rose » et le fût se mit à couler. Curieusement, la première impression que j’ai eu en goûtant était celle gâteau aux bananes et aux carottes, un très bon souvenir qui me rappelle la cuisine de ma mère. Les arômes de roses venaient en fin de bouche.
Ensuite, sur l’ardoise à bières, mon regard tomba sur L’arrivée du printemps, 100% eau d’érable locale et champignon. Francis, nous raconte «C’est un brassin assez complexe du fait que l’eau d’érable ne possède pas les mêmes caractéristiques que l’eau normalement utilisée. Le brassin une fois fermenté aurait donné une bière ambrée douce. Après quelques gorgées, on aurait reconnu le boisé de l’eau d’érable.»
Mais le maître brasseur qui désirait aller plus loin dans l’expérience gustative a ensuite aromatisé cette bière avec un champignon, un lactarius helvus. (https://www.mycoquebec.org/bas.php?&tag=Lactarius%20helvus&gro=34)
Ce champignon de nos forêts est vraiment facilement reconnaissable. De la famille des lactaires, lorsqu’on brise sa chair, il suinte un lait. Plus il grandit, plus il embaume le sous-bois de son odeur sucrée.
L’été dernier, alors que je parcourais mes boisés avec des clients qui voulaient commencer en mycologie, nous sommes arrivés dans des tapis de mousses vertes remplis de fougères hautes sous des résineux où régnait cette forte odeur bien imprimée dans nos mémoires, celle d’un sac de biscuits à feuilles d’érable. «Ça sent les biscuits», dit alors un des ados, puis en écartant les fougères, ils étaient là.
De beaux champignons de la couleur du sucre d’érable, assez grand et d’un bon poids. Sans être une talle, plusieurs de ces champignons poussaient dispersés dans le même secteur. Plus ils étaient vieux, plus ils sentaient les biscuits. Ceux qui sentaient vraiment fort étaient défraichis et trop murs. Les plus fanés étaient remplis de spores blanc crème. C’était le premier champi que ces nouveaux amateurs ont pu identifier facilement, même avec les yeux fermés, car c’est par l’odeur qu’on y arrive.
C’est l’entreprise mauricienne « Forêt y goûter » à qui on doit les spécimens incorporés à L’arrivée du printemps. Au final, c’est une bière ambrée, peu amère (24 ibu ), au bouquet puissant, rappelant celui du pouding chômeur mêlé au réduit de cabane à sucre et à la tire éponge. Son goût richement boisé laisse en bouche une finale bien printanière avec une petite touche sucrée. Avec le plat de joue de bœuf aux pleurotes qui l’a accompagné, le mycologue gourmand que je suis était plus que comblé. C’était tout comme être à la cabane à sucre !
J’ai acheté un litre de cette bière pour la maison et j’en ai ajouté à la cuisson d’un jambon. Ce fut une réussite. Il faudra recommencer cette recette. Même si l’eau d’érable n’est pas disponible à l’année longue, les lactaires le sont. Alors j’espère que cette bière sera disponible tout au long de l’année !
Boire une bière aux champignons est bien la preuve que ces comestibles de nos forêts (les forestibles) peuvent être incorporés de plusieurs manières dans notre gastronomie.
Santé tout le monde !
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Stéphane Lamanna est un mycologue amateur de Grandes-Piles et membre du Cercle des mycologues de Lanaudière et la Mauricie. Au fil de ses chroniques, il souhaite partager sa passion de l’étude des champignons et de leurs propriétés insoupçonnées.