Les gardiens de la tradition
NOTRE-DAME-DU-MONT-CARMEL. Alors que plus de 75% de la production mondiale de sirop d’érable provient de la Belle Province, c’est un euphémisme de dire que le temps des sucres est intimement lié à l’identité québécoise. Cette tradition ne peut être mieux illustrée que par les chaudières suspendues aux érables au printemps. Sur leur terre dans le rang Saint-Flavien Ouest à Notre-Dame-du-Mont-Carmel, René Lafontaine et Lise Veillette perpétuent ce rituel depuis 2014.
Dans sa cabane à sucre baptisée La Madeleine, du nom d’une de ses tantes qu’il chérissait beaucoup, René Lafontaine surveille attentivement l’eau d’érable bouillir dans son petit évaporateur, dans l’attente d’atteindre le seuil de 59 Brix, l’unité de mesure qui donne la teneur en sucre. « C’est à ce niveau-là qu’on obtient le sirop », lance le facteur à la retraite.
Avec 230 chaudières, il peut récolter dans un printemps normal disons, près de 1000 gallons d’eau d’érable qui donneront environ 20 à 25 gallons de sirop. « En 2023, on a fait sept gallons. Trois semaines et c’était fini. Ça a été désastreux, mais cette année, c’est bien parti », note René Lafontaine qui avait déjà récolté près de 600 gallons d’eau d’érable lors de ses quatre premières sorties en mars quand nous l’avons rencontré.
Seul accroc à la tradition: au lieu d’un cheval et d’un traîneau, le Montcarmelois se déplace dans l’érablière avec son Kubota. Chaussées de raquettes, Lise Veillette et sa sœur vont recueillir le précieux liquide dans les chaudières pour aller le transverser dans le réservoir à l’arrière du VTT. « Il y en a qui paient pour aller au gym, nous autres, on fait du sirop d’érable », souligne-t-elle en souriant.
Avec une production d’un peu plus de 200 cannes de sirop par année, on se doute que la demande excède l’offre pour le sirop de La Madeleine. « Un sirop artisanal comme je fais, c’est plus foncé et plus goûteux que le sirop commercial qu’on achète à l’épicerie. J’ai une tante en Floride qui m’a envoyé un message qu’elle en veut cette année. Je vais voir parce que j’ai déjà une liste déjà bien remplie », lâche le sympathique sucrier.
Dans leur érablière à Notre-Dame-du-Mont-Carmel, Lise Veillette et René Lafontaine comptent cette année 230 chaudières. (Photo courtoisie)
Souvenirs de La Madeleine
Durant une vingtaine d’années, entre 1977 et 1997, René Lafontaine s’amusait à faire du sirop avec son oncle André Trépanier, justement l’époux de la fameuse Madeleine qui a donné son nom à la cabane. « C’était encore plus artisanal que ce que je fais là », précise-t-il. Quand il s’est mis en tête de recommencer en 2014, l’homme avait fait ses devoirs. « Il y a des groupes sur Facebook pour ceux qui font du sirop à l’ancienne. On se donne entre nous des conseils et des trucs. Ça nous permet de s’améliorer d’une année à l’autre. »
À La Madeleine, dans le petit espace réservé à la salle à manger, un tableau est accroché avec de multiples photos prises au fil des ans à la cabane. « C’est notre mur des souvenirs. Toutes des personnes à qui ont tient beaucoup, raconte Lise Veillette. Mes parents étaient venus une fois à nos débuts. Ce sont des moments qu’on ne peut pas oublier. C’est une belle place pour faire des rassemblements familiaux. »
La tradition est en tout cas en voie de se transmettre, car le couple de Notre-Dame-du-Mont-Carmel peut maintenant compter sur l’aide de leur petit-fils qui vient donner un coup de main de temps à autre. « On fait ça pour notre plaisir car si on compte le temps qu’on y met et l’argent qu’on dépense pour s’équiper, c’est pas avec ça qu’on fait de l’argent. Les gens chialent quand ils paient une canne de sirop à 8$, mais il y a beaucoup de travail derrière ça », termine René Lafontaine.