Un producteur maraîcher aménage un milieu humide et se met à dos le ministère de l’Environnement
SAINTE-ANNE-DE-LA-PÉRADE. Le propriétaire du Potager Santé à Sainte-Anne-de-la-Pérade voulait bien faire en aménageant un milieu humide dans l’un de ses champs qui se trouvait inondé au printemps. Il y voyait de nombreux avantages pour la biodiversité, l’environnement et pour la santé de ses terres. Cependant, le ministère de l’Environnement est intervenu et lui demande aujourd’hui de tout remblayer.
« En 2019, il y a eu une sécheresse au printemps. J’ai perdu presque toute ma production parce qu’il n’y avait pas d’eau ni de système d’irrigation. J’ai environ quatre hectares de champ à irriguer, raconte Christian Thivierge, propriétaire de la ferme Potager Santé. Derrière chez moi, sur mes terres, il y a un champ qui était souvent mouillé. Je faisais faucher le foin, mais le producteur ne voulait pas y aller parce que ça calait trop. C’était trop mouillé pour y permettre de nombreux types de cultures. »
« Je me disais que c’était un bon endroit pour aménager un milieu humide. C’est collé sur le ruisseau d’Orvilliers et quand la marée monte, le ruisseau se remplit et déborde dans ce champ. On a donc creusé. On a enlevé environ trois ou quatre pieds de terre, sans casser le galet pour éviter que l’eau s’infiltre. Ça se remplit naturellement par l’eau du fleuve à marée haute. Je pompe une toute petite quantité pour irriguer mes terres », poursuit-il.
Mais depuis 2020, il se trouve dans un bras de fer avec le ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Lutte contre les changements climatiques. « Le ministère est démarqué en 2020 avec un constat d’infraction disant que je n’avais pas le droit de creuser parce que la terre se trouve dans le littoral du fleuve. Je suis en discussion depuis trois ans avec les gens du ministère. Ils n’ont été ouverts à aucune négociation », affirme M. Thivierge.
Le ministère de l’Environnement demande au producteur maraîcher de tout remblayer et de « réhabiliter l’habitat du poisson ». L’ennui, c’est que le milieu humide a permis d’y développer de la biodiversité. Christian Thivierge y voit des poissons, des insectes, des couleuvres, des canards et des grands hérons, notamment.
« Je veux faire des choses positives pour l’environnement. Je suis un petit producteur et je pense que ce milieu humide est bon dans le contexte des changements climatiques et pour développer la résilience de mes terres. Par ailleurs, ils sont venus faire des prélèvements dans le bassin. Un biologiste m’a dit qu’il y avait du chevalier cuivré dans mon bassin. Ça devient un vrai habitat du poisson et l’article 35 de la Loi sur les pêches fédérale dit qu’on ne peut pas détruire un milieu de vie de ce genre », plaide-t-il.
(Photo courtoisie)
Pas l’intention de remblayer
Dans sa dernière communication avec la Direction de la gestion de la faune de la Mauricie et du Centre-du-Québec, le producteur maraîcher explique certains éléments qui ont motivé sa décision de refuser d’exécuter un plan de mise en œuvre volontaire qui aurait consisté à remblayer le tout. « La destruction de ce milieu humide et de cet habitat réel du poisson ne me semble pas un dénouement approprié à la situation. En cette époque de changements climatiques, nous devons réfléchir collectivement aux opportunités que nous avons pour développer notre résilience », y indique-t-il.
Christian Thivierge cite notamment une étude réalisée par le partenariat du Regroupement des propriétaires du Marais de Grondines et Conservation de la Nature Canada qui démontre les impacts positifs de ce type d’aménagement. Le document rapporte que les pêches réalisées entre 2009 et 2022 dans le secteur ont permis de recenser 42 espèces de poissons. « Les aménagements réalisés semblent offrir des zones d’alevinage, de croissance, d’alimentation et d’abri propices à de nombreuses espèces, comme la perchaude, les cyprinidés et les prédateurs piscivores (à marée montante). Certains indices d’activité de reproduction ont été observés », détaille Christian Thivierge dans la lettre.
Il se dit aussi convaincu que l’état actuel de l’habitat du poisson dans le milieu humide est supérieur à la situation qui prévalait avant l’intervention dans son champ en culture. « Il est vrai que ce champ inondé au printemps offrait un site potentiel pour la reproduction de la perchaude. Mais ce champ offrait une valeur marginale pour toutes les autres caractéristiques écosystémiques, écrit-il. Le site étant devenu un vrai milieu humide toute l’année, il offre une foule de niches écologiques pour une multitude d’espèces de poissons et de la faune en général. Mes voisins immédiats disposent de champs inondés au printemps qui sont donc accessibles pour la reproduction de la perchaude. »
Christian Thivierge, qui a réalisé les travaux d’aménagement sans demander de permis au préalable au ministère de l’Environnement, est conscient que des poursuites judiciaires risquent de s’enclencher.
« Je reconnais l’importance de la protection des milieux humides et des terres du littoral du fleuve Saint-Laurent. Je crois aussi en une société où les citoyens sont des acteurs du développement de leur territoire et de l’aménagement de leurs écosystèmes. (…) Le ministère de l’Environnement ne joue pas son rôle d’accompagnateur dans la transition de la société. Il n’est actuellement qu’une police qui protège le statu quo et nous savons que ce statu quo nous dirige vers des désastres », dénonce le propriétaire du Potager Santé.
Christian Thivierge a demandé l’appui des maires et mairesses de la MRC des Chenaux dans sa démarche. En octobre, le conseil des maires a adopté à l’unanimité une résolution demandant au ministère d’analyser une demande d’autorisation de création d’un milieu humide (bassin) et son canal d’alimentation dans le littoral du fleuve Saint-Laurent avant d’exiger de remettre en état d’origine les lieux.
« Je pense qu’il y a plein de producteurs qui pourraient faire ce genre d’aménagement, mais le cadre réglementaire est intense. Il faut des devis signés par des ingénieurs et des agronomes… C’est irréaliste pour les petits producteurs. Si j’avais su comment ça allait virer, je ne l’aurais pas fait. Je me sens comme si j’avais jeté une bombe nucléaire dans le fleuve », conclut-il.